Mon visa de transit de 5 jours en poche, je peux enfin prendre la route du Turkménistan, ce pays très fermé qualifié de « Corée du Nord » de l’Asie centrale.
Je me lève tôt pour être à la douane à 8h, heure supposée d’ouverture. Le vent souffle et soulève des nuages de poussière/sable. Déjà que j’ai l’impression d’être au bout du monde, cela renforce l’ambiance ‘Far West’. Avant la douane je change mes derniers rials iraniens pour des manats turkmènes, le change se fait au cul des quelques voitures des ‘changeurs’.
Arrivé dans le bâtiment de la douane iranienne, pas de douanier, il arrivera seulement à 9h20. Lorsqu’à un moment je demande pourquoi il n’y a personne, on me fait signe qu’il dort. Il y a des gens (certes peu nombreux) qui veulent passer une frontière mais son sommeil semble plus important (et moi qui pense au fait que je n’ai que 5 jours pour traverser le pays - environ 500 km).
Je dois enlever mes sacoches du vélo pour les passer aux rayons X (comme à l’aéroport).
J’avais repéré hier une Suissesse seule en 4x4 devant l’hôtel, elle va aussi traverser la frontière mais pour elle, avec sa voiture, les formalités seront plus longues. Pendant notre attente, nous discutons et elle me propose un café, elle a dans sa voiture une bouilloire qui se branche sur l’allume-cigare mais ça met du temps à chauffer. Les choses bougent et nous devons avancer dans les démarches, du coup pas de café (du moins pour l’instant). J’étais un peu surpris de voir cette fille seule en voiture dans des coins aussi reculés, en fait elle voyage avec son copain, à qui le visa turkmène a été refusé et qui a donc dû prendre un avion pour l’Ouzbékistan.
Après environ 2 heures, je peux enfin quitter l’Iran. Je traverse un pont sur lequel il y a plein de camions à l’arrêt qui empêchent les véhicules dans l’autre sens (ils sont rares certes) de passer car il n'y qu'une seule voie de circulation. Avec le vélo ça passe.
De l'autre côté du pont, je suis ‘accueilli’ par des militaires (très jeunes). Je continue jusqu’au bâtiment de la douane turkmène. J’ai d’abord droit à un contrôle de ma température (sur le front). Puis il faut remplir un papier (un gars m’aide car ce n’est pas écrit en anglais, seulement en turkmène). Je dois déclarer tout l’argent que j’ai avec moi ainsi que les choses de valeur. Un officiel veut aussi voir les photos stockées dans le smartphone (je savais que ça pouvait arriver), heureusement qu’il n’a pas demandé à voir le bien plus grand nombre stocké sur l’appareil-photo et l’ordinateur. Puis passage des sacoches aux rayons X suivi d’une fouille minutieuse de toutes les sacoches, y compris le contenu de la trousse de toilette, de la trousse à pharmacie, de la trousse à outils, pour certaines choses on me demande ce que c’est (comme par exemple les huiles essentielles). Il faut aussi payer 14$.
Je vois arriver la Suissesse, il lui faudra bien plus longtemps que moi pour passer, elle doit notamment acheter une assurance (calculée selon le nombre de kilomètres prévus dans le pays). Les gars commencent par ouvrir la tente sur le toit du 4x4, ils ont du mal à la refermer et Marie les engueule, du coup ils ne lui demandent pas d’ouvrir ses nombreuses caisses.
Je suis enfin libre vers 11h30, il m’aura donc fallu 3,5 heures pour passer les 2 douanes. En plus du contrôle par l’officier d’immigration, mon passeport a été contrôlé (rien que du côté turkmène) à bon nombre de reprises (à la sortie du pont, à l’entrée du bâtiment de la douane, à la sortie de celui-ci, à la sortie de la zone douanière, et j'en oublie peut-être), on ne rentre pas au Turkménistan comme dans un moulin. Et le douanier a bien insisté sur le fait qu’il ne fallait pas que je m’écarte de mon itinéraire déclaré.
Il n’y a pas beaucoup de circulation. J’ai le vent de face et ça ne s’arrêtera pas jusqu’au soir, du coup je ferai une moyenne d’environ 11 km/h. Il fait chaud (environ 40°) mais avec le vent la température est supportable. L'air étant sec, je ne transpire quasiment pas.
Je sollicite de l’eau à plusieurs reprises (à des automobilistes, des policiers), non pas que je n’aie pas assez de réserve mais ce n'est pas très agréable de boire de l'eau chaude. Pas de souci pour obtenir de l’eau dans ce pays où la population est accueillante, un automobiliste m’a d’ailleurs tendu un pack de 15 à 20 petites bouteilles d’eau ; pas d’exagération, je n’en prendrai que 8.
A un contrôle de police au milieu de nulle part, je fais une pause et voilà que ‘ma’ Suissesse arrive, nous allons pouvoir boire notre café, un bon souvenir assurément dans ce lieu improbable.
Je suis dans un coin du pays avec très peu de villages et de bâtiments, la nuit arrive et rien en vue, je dois planter la tente dans la steppe. Le vent souffle encore, ce qui ne facilite pas le montage de mon ‘hébergement’. Alors que ma tente est encore en boule, je vois un gros insecte s’enfiler dans la boule, un scorpion ? une araignée ? je ne sais pas. En tout cas il faut être vigilent car j'ai lu qu'il y avait des tarentules, des cobras, des scorpions...
Je me lève à 5h06, plie les affaires, mange quelques bricoles puis prend le départ à 5h46. Le vent est déjà levé, mais il n’est pas trop fort, ce qui fait que j’avance assez bien. Il fait bien bon pour pédaler.
Mon étape du soir sera la ville de Mary. Pas grand chose à dire sur le parcours si ce n’est que c’est assez monotone (la steppe a laissé la place a des zones cultivées), peu habité et qu’il fait chaud, les rares personnes avec qui j’interagis sont très serviables à mon égard.
Douane turkmène après la traversée du no man’s land entre les 2 pays
J’ai compté 5 rangées de grillage/barbelé et pu voir des centaines de caméras installées sur des poteaux tous les 100 mètres à peine
Je suis content de trouver ce genre d’infrastructure. Pourquoi ? tout simplement parce que ça change de la monotonie de la steppe
Marie la Suissesse
Les rares villages sont peut attrayants
Dans cette famille on m’a payé le thé. On voulait aussi m’héberger mais il était trop tôt pour s’arrêter
Bivouac dans la steppe
Ces femmes - qui me saluent - vont au travail je pense. Ca fait très ‘Union soviétique’ comme image
Un pont en piteux état
Vendeuses de melons et pastèques
A 40 km de Mary je vais visiter Merv, qui était l’une des grandes cités du monde musulman, à l’instar de Damas, Bagdad et Le Caire. Avant que les fils de Gengis Khan ne ravagent la cité (classée UNESCO) et ne massacrent sa population, Merv était un creuset de croyances et d’ethnies. Ses édifices en briques cuites - palais, mosquées, caravansérails et milliers de maisons privées - dominaient une oasis verdoyante.
La cité connut son âge d’or à l’apogée de la route de la Soie, aux XIe et XIIe siècles, elle aurait même inspiré les contes des Mille et une nuits.
Je ne vois aucun autre étranger lorsque je visite le site très étendu (et suis content d’être à vélo pour aller d’un monument à l’autre). Comme à Mashhad en Iran, je me sens vraiment privilégié de visiter ce site car peu de touristes viennent dans ce pays et ceux qui sont en visa de transit n’ont généralement pas le temps (ou ne le prennent pas).
Retour à Mary où je vais voir les bâtiments ostentatoires que peut se permettre de construire le gouvernement avec l’argent du gaz, mais argent qui a bien du mal à servir à améliorer la qualité des routes et infrastructures.
Pour ne pas être 'à la bourre' vis-à-vis de ma date de sortie obligatoire, et pour m'épargner du pédalage dans ces conditions ingrates (chaleur, vent de face), je prends un train (très confortable) pour rejoindre Turkmenabat, dernière grande ville avant la frontière avec l’Ouzbékistan, frontière que j’ai du mal à trouver car mon GPS m’indique une route principale et plusieurs personnes à qui je demande la route me font signe que c’est fermé (alors que d’autres me font signe OK pour cette direction). Finalement, j’arrive à une frontière fermée, gardée par 2 militaires. Ils me font signe de faire demi-tour, je fais mon malheureux en essayant d’expliquer qu’il fait très chaud, qu’il y a du vent et que je ne sais pas où est la route (ce qui est vrai). L’un d’eux appelle au talkie-walkie et je suis autorisé à passer et à rejoindre la douane qui n’est qu’à 1 ou 2 km, ouf !
Les conditions dans ce pays ont été difficiles mais j’avais toujours la volonté d’aller de l’avant car c’est une formidable opportunité de voir l’un des pays les plus fermés au monde, et puis la population est vraiment accueillante.
A mon avis, on aime la télévision par ici
Bâtiment à Mary
Statue du dictateur
Mosquée à Mary
Train routier version turkmène
Cité de Merv
Mausolée à Merv
Les femmes turkmènes ont généralement des tenues très colorées
Tour à Merv
A la douane de sortie du pays, les camions ont creusé des sillons dans le macadam surchauffé. En vélo, j’avais un peu de mal à avancer